Un parc industriel est en soi une petite société, presqu’un village. Le parc industriel de Jonquière c’est exactement cela : 120 entreprises et 4000 travailleurs et travailleuses. Tous, ils partagent le même milieu, un petit territoire parfaitement défini où ils font des activités manufacturières ou simplement du commerce. À première vue, ce parc industriel n’a rien de bien différent des autres espaces de ce type, mais il est en voie de se différencier.
On est en train d’en faire un écoparc industriel, sous le vocable de Zone durable Jonquière (JDJ). Un projet ambitieux. Bien sûr, il y a de plus en plus de projets d’écoparcs industriels au Québec, mais ce sont presque tous de nouveaux aménagements. Celui-là est le seul parc industriel déjà existant dans la région qui entreprend un virage aussi important en développement durable (DD) en collaboration avec les entrepreneurs et les entrepreneuses du milieu.
La promenade de Pierre et Félix
La genèse de ce projet vaut la peine qu’on la raconte. Tout cela a commencé par une promenade, dans ce lieu, d’un beau-père, Pierre Laflamme, avec son gendre Félix Daviault-Ford, qui venait de s’y installer avec ses deux associés pour y créer la microbrasserie Pie Braque. « Rapidement, raconte Pierre Laflamme, on voit que le lieu est peu invitant. Il n’y a pas de préoccupation pour l’environnement immédiat et même le ravin du parc ressemble plus à un dépotoir. Et on s’est dit, il y a sûrement quelque chose à faire avec ça. Dans parc industriel, il y a quand même le mot parc. »
Félix Daviault-Ford nous confie fièrement que son beau-père « a été la véritable la bougie d’allumage de ce projet qui avance doucement, mais surement. » Soulignons que le beau-père en question est un conseiller stratégique du Centre québécois de développement durable (CQDD). « C’est vrai que je possédais une certaine expertise en DD et je voulais servir de guide au démarrage, mais je tenais à ce que ce soit un projet du milieu. » Quand on le connait bien, on se dit que cela lui ressemble. Pierre Laflamme n’est pas un donneur de leçons et il n’est pas non plus du genre à culpabiliser, ni à endoctriner. Il dit d’emblée, « Il faut laisser les gens évoluer à leur rythme et surtout leur faire prendre conscience qu’ils en font souvent plus pour l’environnement qu’ils ne le croient. » De l’avis de plusieurs, son influence de départ a été déterminante pour mobiliser plutôt que de braquer.
Photo de gauche à droite : Philippe Dufour, membre fondateur de la coopérative microbrasserie Pie Braque, Pierre Fortin, membre travailleur de Pie Braque , Simon Mélançon, membre fondateur, Félix Daviault-Ford, membre fondateur, Samuel Giguère, responsable des événements et des communications.
Donner du sens à ses actions
Cette approche plaît à Félix Daviault-Ford, qu’on appellera Félix, et ce projet l’emballe. « Je me suis dit, quelle belle opportunité de s’impliquer socialement et de laisser à mes enfants un parc en meilleur état qu’il était quand on y est arrivé. » Ses deux associés dans la coopérative de travail la microbrasserie Pie-Braque, Simon Melançon et Philipe Dufour, ne se font pas tirer l’oreille. Au contraire, le trio de trentenaires sont en deuxième carrière et souhaitent donner du sens à ce qu’ils font. Un biochimiste, un ingénieur et un microbiologiste qui cherchent à réorganiser leur vie sur de nouvelles bases, voire de nouvelles valeurs en rupture avec l’obsession de la performance et la course effrénée vers la réussite.
« Dès le départ, raconte Félix, on sait qu’on doit mobiliser le milieu. Alors on va se présenter et on se rend compte que nos voisins ne se connaissent pas entre eux. En fait, il n’y a pas de document qui nous permet d’avoir un portrait exact des entreprises et des activités de l’ensemble du parc. Donc, on doit au préalable faire ce travail, c’est-à-dire caractériser le parc. » Un travail qu’ils réalisent en collaboration avec la firme d’urbanisme de Jean-Yves Bouchard, grâce au soutien financier de Promotion Saguenay. Le portrait est plus qu’utile, il était essentiel. « Pour réaliser un écoparc industriel, poursuit Félix, on doit obligatoirement s’inspirer de l’écosystème et du milieu environnant. »
L’Économie circulaire au cœur de la ZDJ
Depuis 2020, les premiers promoteurs de ce projet ont réussi à élargir le cercle des porteurs de changements. On parle aujourd’hui d’une trentaine d’entreprises activement impliquées. En trois ou quatre ans, tous ensemble ils se sont familiarisés avec les objectifs du DD. Plus encore, ils ont pris conscience de la valeur des échanges entre entrepreneurs, des échanges de matériaux, de machinerie et de main d’œuvre, ce que l’on appelle l’économie circulaire. Félix raconte : « une fois par mois, on a même les midis-circulaires où on échange sur ce que l’on a de trop, ou de ce dont on a besoin et qui pourrait se trouver chez nos voisins. »
Lui-même, pour sa microbrasserie, récupère les pains invendus d’une boulangerie voisine qui sont intégrés dans une recette de bière. Ailleurs, ce sont des sacs de plastique géants, des restes de palettes de bois ou des boîtes de carton qui trouvent preneurs et échappent à l’enfouissement. En plus de ces actions de circularité, l’éco-centre de l’arrondissement de Jonquière qui est situé en plein cœur de la ZDJ est le premier de Saguenay à mettre en place un important projet de réemploi. Plus que des matériaux, ce sont des petits électroménagers, des meubles, bref, plein objets devenus inutiles pour les uns qui pourront avoir une autre vie pour d’autres.
À travers leurs rencontres plusieurs entrepreneurs et employés ont pris conscience que le développement durable va bien au-delà des efforts de protection de l’environnement. On sent qu’il y a de plus en plus d’intérêt et de préoccupation pour la santé, la sécurité et le mieux-être au travail ainsi que pour l’amélioration des espaces de vie. Aujourd’hui, on y trouve même un gymnase et plusieurs entreprises soutiennent les employés qui s’adonnent à l’exercice physique.
C’est le milieu lui-même qui donne le ton
Pour aller encore plus loin et donner un cadre bien défini à tout ce travail, Promotion Saguenay a réalisé un plan directeur, cela également en collaboration avec l’urbaniste Jean-Yves Bouchard. Nicolas Maltais, conseiller au développement industriel à Promotion Saguenay, nous dit que « tout l’intérêt de ce projet, c’est que c’est une initiative qui vient du milieu lui-même. Les entreprises qui sont installées là sont le moteur de ce projet » Il est clair que Promotion Saguenay n’a pas voulu dénaturer les intentions premières de Pierre Laflamme, Félix et de tous ceux qu’ils ont entraînés dans leur sillon. « Au contraire, soutient Nicolas Maltais, on est un liant c’est tout. Et ce que ça donne, c’est que ce lieu, qui pourrait n’être que poussiéreux, même polluant, deviendra un lieu où il sera possible d’aménager des espaces verts, un lieu où on va mieux gérer les matières résiduelles, mais aussi un espace où on va créer un esprit de communauté avec des relations d’affaires. » Et pourquoi pas, au final, un sentiment d’appartenance et une fierté envers leur écoparc industriel.
Cela dit, le projet le plus mobilisateur de ce plan directeur est sans contredit l’assainissement du marais qui traverse ce milieu et l’aménagement d’un sentier aux abords. Ce que l’on voit ici, c’est de redonner un lieu sain aux occupants du parc et également à tout le voisinage. « L’aménagement de sentier est devenu une priorité pour l’association des occupants du parc, nous dit Félix. Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’à un bout de ce sentier, il y a une garderie et qu’à l’autre bout, il y aura le Centre TERRE du Cégep de Jonquière, ce centre de recherche et de services sur les énergies renouvelables. »
Ce n’est qu’un début
Les occupants de cet écoparc en devenir auront même droit prochainement à de la formation donnée par un écoconseiller qui présentera aux entreprises ce qu’est exactement le DD. Tous pourront se servir d’outils, tel que l’Activateur développé par le CQDD, pour élaborer leur propre plan d’action de durabilité.
Ce projet est formidable, mais il n’est pas décroché de la réalité, au contraire comme nous le rappelle Nicolas Maltais de Promotion Saguenay :
« On sent un momentum. Le marché se doit de répondre aux demandes des consommateurs et les grands donneurs d’ordre embarquent dans ce mouvement. On va vers un monde fini et la croissance infinie n’est pas viable. »
Il y a quelques semaines, la Ville de Saguenay a officialisé, par résolution, l’existence de la Zone durable Jonquière. Elle était de plus en plus connue, elle est maintenant reconnue.
On peut dire que la petite marche de Pierre et Félix, au cœur de ce parc industriel, a été profitable. Aujourd’hui, c’est la démarche de toute une communauté.
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Par Errol Duchaine