La planète économique bouge et plusieurs diront qu’elle bouge pour le mieux.   Plantons le décor.  Tout d’abord, plusieurs observateurs du monde des affaires avaient déjà prédit que l’actuelle décennie serait celle du DD (développement durable).  Et c’est bien réel, on le voit, on le sent, ici comme ailleurs.  Pour un nombre croissant de grands donneurs d’ordres, d’institutions financières et même de gouvernements, l’adoption de pratiques écoresponsables est conditionnelle à l’obtention de contrats et même à du financement. 

Est-ce qu’on parle d’un raz-de-marée?  Non, mais d’un changement qui ne risque pas de faire marche arrière. 

« On remarque différents signaux sur la scène québécoise et internationale qui nous incitent à préparer les entreprises à ces nouvelles réalités. »

Manon Gigot, coordonnatrice du projet Financement durable au Centre québécois de développement durable (CQDD)

Le CQDD à l’avant-scène

Concrètement, depuis quelques mois, le CQDD accompagne une vingtaine d’ODÉ (organisme de développement économique) à travers tout le Québec dans le cadre d’un projet d’envergure et qui a pour objectif de soutenir les ODÉ dans une transition vers le financement durable.   On sait que les conseillers et les conseillères aux entreprises au sein des ODÉ sont en première ligne, en contact direct avec les entrepreneur·e·s.   Ils et elles comprennent parfaitement la réalité de ceux-ci et de celles-ci, une réalité qui demande tant de courage, de confiance, de passion et de goût du risque que plusieurs d’entre nous ne tiendraient pas une minute.  Ainsi, l’accompagnement offert par les conseillers et les conseillères est plus que jamais essentiel.

Alors le financement durable, vous me demanderez, qu’elle est sa valeur ajoutée ?

Une définition

Avant de poursuivre, une définition s’impose.  Le financement durable est la prise en compte de considérations ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) et de durabilité dans les processus de financement aux entreprises.  Autrement dit, puisque les pressions se font de plus en plus fortes pour que les entreprises adoptent des pratiques d’affaires écoresponsables, on comprend que les conseillers et les conseillères des ODÉ se doivent d’être outillé·e·s sur le sujet.

C’est exactement ce que propose le CQDD dans ce projet de Financement durable, un concept qui comprend des récompenses à la clé, comme nous l’explique Manon Gigot :

« L’un des moyens d’application du financement durable, c’est de récompenser l’entreprise qui a intégré dans son modèle d’affaire des pratiques écoresponsables, et de créer des incitatifs, notamment financiers, pour amener les autres à aller plus loin. Les incitatifs et les récompenses pourraient être la bonification d’une subvention ou encore la réduction d’un taux d’intérêt lié à un prêt. » 

Manon Gigot, coordonnatrice du projet Financement durable au Centre québécois de développement durable

Alors vous l’aurez compris, l’intégration du financement durable doit permettre de mesurer la performance des entreprises sur les plans social, environnemental et de gouvernance (ESG) en plus de sa situation financière, via des outils d’analyse ESG qui sont développés, entre autres, par le CQDD.   Est-ce que toutes les pratiques écoresponsables auront la même valeur dans une logique de pointage?  Est-ce qu’il suffit qu’une entreprise ait l’intention d’adopter de telles pratiques où devra-t-elle démontrer que des gestes concrets ont été mis en place?  Est-ce qu’on devra établir un échéancier pour atteindre les objectifs qu’une entreprise se donnent?  Tout est sur la table et on comprend que les méthodes d’évaluation ne se définissent pas en claquant des doigts. 

Des rencontres profitables

Au cours des derniers mois, plusieurs rencontres ont eu lieu avec l’un ou l’autre des 4 experts ESG et développement durable au CQDD avec chacune de 20 ODÉ qui participe à ce projet.  Karen Dixon, commissaire au développement économique / volet industriel et manufacturier à la MRC d’Argenteuil et participante au projet Financement durable résume bien ce que cela leur apporte :

« Ce que le CQDD vient faire, c’est de structurer nos réflexions.  Alors oui, à la fin on va avoir un outil pour intervenir.  Mais c’est plus que cela.  Toute notre équipe aura réfléchi tout au long du processus, ce qui veut dire qu’on aura acquis le langage et les connaissances pour pouvoir en parler avec les entreprises. » 

Karen Dixon, commissaire au développement économique / volet industriel et manufacturier à la MRC d’Argenteuil et participante au projet Financement durable

Elle poursuit : « Ça devient de plus en plus évident que c’est maintenant que ça se passe.  Et pour notre MRC, c’est arrivé sur notre chemin juste au bon moment. Après la pandémie, notre planification ne tenait plus, poursuit-elle.  On se disait qu’il faudrait davantage miser sur la résilience des entreprises et on se disait que ça passait par le DD et les critères ESG. » 

Lorsqu’on parle de pratiques écoresponsables selon les critères ESG et de durabilité, le catalogue est riche en propositions : approvisionnement local et responsable, gestion des matières résiduelles, économie d’eau, émissions des GES, économie circulaire, santé et bien-être des employés, formation, etc., etc. 

On peut comprendre que certain·e·s entrepreneur·e·s s’y perdent et aient envie de faire marche arrière plutôt que d’emboîter le pas.  Mélanie Gélinas, conseillère en entrepreneuriat-financement au CLD Brome-Missisquoi en témoigne:

« Ce que les entrepreneurs se disent c’est, « je n’y comprends rien, ça va me coûter de l’argent, je n’ai pas le temps pour cela, ni l’expertise, et ça ne s’adresse pas à mon industrie.  Alors, en réponse à ces peurs, on sait qu’il faut démystifier ces notions et pour cela il faudra penser à du maillage, à identifier des leaders dans le milieu. C’est à tout cela qu’on réfléchit avec le CQDD et aussi en équipe. Mais c’est un travail plus intense qu’on l’aurait imaginé… »

Mélanie Gélinas, conseillère en entrepreneuriat-financement au CLD Brome-Missisquoi et participante au projet Financement durable

 Elle poursuit : « Une question très importante à laquelle on doit répondre c’est comment peut-on intégrer un outil qui est viable et qui fait du sens et de la cohérence pour nos gens qui représentent une grande diversité d’entreprises qui va du travailleur autonome à la multinationale. »

Quel travail !

Un travail « plus intense que prévu », a-t-elle dit. Au-delà de s’outiller convenablement, c’est en quelque sorte un changement de culture qui devra s’opérer :  percevoir et faire reconnaître le financement durable comme une opportunité de développement. 

L’enthousiasme de la part de plusieurs participant·e·s à ce projet est manifeste.  D’ailleurs, plusieurs ODÉ avaient déjà amorcé un travail de sensibilisation au DD auprès de leurs entrepreneur·e·s.  Sophie Grégoire-Tremblay, coordonnatrice au développement à la MRC de Maria-Chapdelaine, explique :

« On était déjà dans cette visée, dans ce désir de voir comment développer différemment notre territoire en misant sur le DD. Là, on aura des leviers facilitants pour aller chercher du financement et aussi pour aller chercher de la main-d’œuvre, se positionner face aux grands donneurs d’ordre. » 

Sophie Grégoire-Tremblay, coordonnatrice au développement à la MRC de Maria-Chapdelaine et participante au projet Financement durable

Pour un territoire dévitalisé comme le sien, elle soutient que plusieurs actions en DD sont des façons de se distinguer et de sortir du lot.  Mieux encore, ce qui l’enthousiasme c’est de remettre au cœur de nos préoccupations la dimension sociale :

« C’est une vision du développement durable qui ne prend pas en compte seulement l’économique, mais aussi tout le volet social.  Ce volet est très important.  C’est un outil de développement non seulement pour l’entreprise, mais pour tout le territoire. »

Sophie Grégoire-Tremblay, coordonnatrice au développement à la MRC de Maria-Chapdelaine

Des réflexions et des actions

Sophie Grégoire Tremblay, comme plusieurs autres participant·e·s, nous disent qu’ils et qu’elles voient dans tout ce travail une occasion rêvée pour faire réfléchir les entreprises de leur milieu à de nouveaux modèles d’affaires, et à de nouvelles opportunités économiques tout en posant des gestes qui représentent, bien souvent, des économies. Parler de financement durable c’est aussi parler de tout cela. 

Cela dit, il serait faux de croire que le rôle des conseillers et de conseillères des ODÉ va se transformer ou rompre avec leur rôle traditionnel, mais on peut parier qu’il va s’actualiser et s’enrichir.  C’est Karen Dixon, de la MRC d’Argenteuil qui a une formation en environnement, qui conclut :

« Avant c’était la croissance et la productivité à 100 à l’heure et aujourd’hui, je me reconnais encore plus dans ce rôle avec cette réflexion.  Je sens que mes compétences sont en accord avec mes valeurs. 

Karen Dixon, commissaire au développement économique / volet industriel et manufacturier à la MRC d’Argenteuil

Elle fait une pause et me demande, « Est-ce que c’est trop cheesy? »  Bien non Karen.  Et elle part d’un grand rire.  

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Par Errol Duchaine

Image : les 20 organismes participants au parcours de Financement durable