J’aimerais vous parler de Steve Desrochers. Ah, il y a peu de chance que vous le connaissiez. Steve n’est pas de ceux qui font la une des journaux et pourtant, il le pourrait. Il représente en tous points la raison d’être de la Chaîne de travail adapté (CTA). La CTA est une entreprise d’économie sociale qui a comme mission l’intégration sur le marché du travail de personnes vivant avec une limitation intellectuelle ou physique.
Quand on demande à Steve comment il s’est retrouvé à travailler pour la CTA il répond d’emblée : « j’ai une déficience intellectuelle, mais légère, et j’ai un TDA (trouble du déficit de l’attention). »
Quand on l’écoute nous parler de lui, on est impressionné tant l’homme semble organisé, malgré ce qu’il qualifie lui-même de limitation. Alors nos préjugés tombent et on l’écoute.
« J’ai fait d’autres emplois avant ça, poursuit-il, mais pas comme ici. Ici, j’ai commencé en bas de l’échelle, on m’a donné de la formation et aujourd’hui, je suis responsable de l’atelier des carpettes (NDLR : atelier de nettoyage de tapis) et je donne de la formation aux nouveaux venus. »
Un parfait exemple de réussite de la CTA !
Récemment la Chambre de commerce et d’industrie de Lac-Saint-Jean-Est a souligné l’importance de la CTA dans notre milieu en lui accordant deux prix. L’un reconnaît « son approche unique et sa détermination à promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion ». L’autre prix est celui du Développement durable et de la responsabilité sociale de l’entreprise.
L’inclusion et le développement durable
Ces deux prix sont intimement liés et témoignent parfaitement de la mission de la CTA. Ce travail d’inclusion et de reconnaissance de la valeur de ces personnes en marge de la norme ne se fait pas n’importe comment.
« Ici, il n’est pas question de faire de l’occupationnel, affirme Marie-Pier Ratté, directrice générale à la CTA. Ce n’est pas parce qu’une personne a des limitations qu’elle ne peut rien faire. On les rencontre, on évalue leurs capacités, on leur donne de vraies tâches, des responsabilités et des titres d’emploi. »
En cours d’année, des sondages sont réalisés et chaque employé sera rencontré pour s’assurer de son bien-être au travail. Toutes ces attentions s’inscrivent dans une perspective de développement durable.
Par ailleurs, d’un point de vue environnemental, les tâches de plusieurs employés ont, elles aussi, un impact positif. On parle ici de récupération et de réemploi. Mentionnons le dégainage de fils électriques pour récupérer le cuivre, la récupération de centaines de pots de fleurs nettoyés et revendus à des serres ou à des pépinières de la région. Des sacs de grains venant de microbrasseries servent à emballer des produits à livrer aux clients. Tous les rebuts de bois sont récupérés et vendus au public comme bois d’allumage. Des changements dans les procédures de travail sont effectués pour diminuer l’utilisation de papier et favoriser l’utilisation de produits certifiés ECOLOGO. On voit que plusieurs de ces actions contribuent à ce que l’économie de la région soit plus circulaire et durable.
En ce sens, une grande partie d’autres activités contribuent à prolonger la durée de vie d’objets d’utilité courante en milieux industriels et commerciaux puisque la CTA s’est fait une spécialité de nettoyer de grands volumes d’habits de travail et autres textiles ou objets.
« Les objectifs de développement durable sont pris très au sérieux à la CTA nous l’explique Marie-Pier Ratté. Le plan de développement durable, qui a été élaboré à l’aide de l’Activateur[1], est mis en œuvre par une équipe de six personnes à l’interne. On fait beaucoup de petites choses au quotidien, autant du point de vue social qu’environnemental. »
Des petites choses et des plus importantes comme l’amélioration de l’efficacité énergétique, une meilleure gestion des matières résiduelles, la réduction au minimum de l’usage de plastiques, et le compostage.
« On porte également une grande attention à l’approvisionnement local, souligne Marie-Pier Ratté. Pour nous, il est important de soutenir la communauté. »
Soutenir la communauté
Mais ce qu’apporte la CTA à la communauté va bien au-delà de cela puisque l’organisme fait également de la sous-traitance externe. Plusieurs de leurs 238 employés travaillent entre autres comme étalagiste, commis de bureau, plongeur, cuisinier, commis à la boucherie ou à la boulangerie, aide-éducatrice, préposé à la réception et à bien d’autres tâches.
Près de 60 entreprises font appel à la CTA pour ces employés. Entre autres, les supermarchés Métro d’Alma et de Delisle collaborent avec l’organisme depuis plus de 20 ans. Son propriétaire André Fortin nous explique :
« Cela s’inscrit parfaitement dans la mission sociale de l’entreprise et nous sommes très satisfaits de ces employés. Je dirais même qu’ils sont souvent parmi nos meilleurs. Ils sont très heureux, ils travaillent avec le sourire, poursuit-il, et ils ont une incidence sur la conscientisation à la différence auprès du personnel et de la clientèle. »
On les retrouve dans plusieurs départements de leurs supermarchés ou à la préparation d’aliments cuisinés. Ils sont utiles, nécessaires et on devrait davantage faire appel à eux surtout dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, souligne Marie-Pier Ratté :
« effectivement dans ce contexte, on considère de plus en plus cette main-d’œuvre. Et ça marche. Notre taux de rétention en emploi est de 91 %. De plus, il faut souligner que nous assurons tout l’accompagnement dont ces employés ont besoin autant pour s’intégrer à l’entreprise que pour réaliser leurs tâches. »
D’ailleurs, la CTA est à la recherche de partenaires pour développer davantage tout le secteur de Saguenay pour des tâches de manutention ou autres en entreprise.
Marie-Pier Ratté d’ajouter :
« Il y a de l’économique dans ce que l’on fait, mais ce qui prime c’est la qualité de la vie et la dignité humaine. Parmi les plus beaux témoignages que l’on reçoit, ce sont ceux des parents qui nous disent je sais maintenant que mon enfant peut avoir une vie normale. Quand je vois de la fierté dans les yeux de nos employés, ça devient ma propre fierté. »
Sans la CTA, Steve Desrochers et plusieurs de ses collègues pourraient se retrouver dépendants de l’État en bordure de la vie à regarder les autres vivre la leur normalement.
« Je n’ai pas fini de progresser, nous dit Steve en fin de conversation. Je veux devenir chef d’équipe. »
On le lui souhaite.
On peut affirmer que l’aventure de la CTA est l’exemple d’un mariage réussi entre une mission sociale et des préoccupations environnementales. Le mariage de l’inclusion et de l’écoresponsabilité.
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Par Errol Duchaine
Image : CTA
Photos : Steve Desrochers, responsable, atelier de carpettes, CTA et Marie-Pier Ratté, directrice générale, CTA
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[1] L’Activateur est une application Web de développement durable qui permet d’identifier, en moins de 30 minutes, des pistes d’action et des actions réalisées au sein de votre entreprise. L’application permet aussi d’utiliser vos résultats pour créer un plan d’action et communiquer publiquement vos réalisations.