L’Observatoire de la consommation responsable (OCR) de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM a rendu public, il y a quelques jours, son 15e Baromètre de la consommation responsable. Cette étude annuelle nous permet de saisir, au fil du temps, le parcours des Québécois et Québécoises quant à leurs habitudes, voire leurs valeurs et leurs attentes dans leur posture de consommateur. Première constatation pour ce bilan 2025, la consommation responsable continue de progresser lentement, mais elle fait face à ce que les rédacteurs du rapport appellent des tensions majeures : impact du coût de la vie, écofatigue ambiante, perte de repères collectifs et contradictions à surmonter.
Cela dit, même si la progression n’est pas spectaculaire et rencontre des obstacles, certains chiffres sont encourageants. Par exemple, 64 % de la population estime consommer de manière plus responsable qu’il y a 10 ans. Mais ce qui est encore plus intéressant, c’est que les répondants à cette étude n’associent pas la consommation responsable uniquement à l’achat comme tel, mais à plusieurs actions qu’ils intègrent dans leur vie quotidienne. Entre autres, limiter le gaspillage (85,5 %), repenser ses besoins (80,2 %), privilégier la qualité et la santé (77,4 %), faire preuve de sobriété (74,5 %) et acheter local (71,9 %).

Le CQDD a voulu en savoir davantage quant aux attentes des consommateurs de la part des fabricants et des commerçants. Pour cela, nous avons adressé quelques questions à Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR), auteur de l’étude et professeur titulaire au département de marketing de l’UQAM.
CQDD : Selon votre étude, quelles sont les attentes des consommateurs québécois envers les entreprises en matière d’écoresponsabilité ?
Fabien Durif : Les attentes des consommateurs québécois envers les entreprises en matière d’écoresponsabilité restent fortes, mais elles évoluent. Si les engagements environnementaux continuent de compter, on observe en 2025 un recentrage sur les dimensions sociales et économiques, en réponse au contexte inflationniste et aux incertitudes politiques. Concrètement, 70,5 % des Québécois·es souhaitent que les marques contribuent à améliorer la société, et 74,3 % valorisent celles qui soutiennent les communautés locales. Ce désir d’impact positif est clair, mais il dépasse aujourd’hui la seule dimension écologique.
En parallèle, on constate un recul de l’adhésion spontanée aux promesses environnementales des entreprises, ce qui pourrait refléter un phénomène d’écofatigue ou une saturation face aux discours environnementaux jugés trop abstraits ou répétitifs. Les consommateurs veulent des gestes concrets, visibles, et crédibles.
CQDD : Les consommateurs sont-ils plus exigeants qu’auparavant, et dans quelle mesure, en ce qui concerne les procédés de fabrication, les matières utilisées, la durée de vie des objets et leur réparabilité ?
Fabien Durif : Oui, les consommateurs sont nettement plus exigeants qu’auparavant… Le Baromètre 2025 montre une transformation profonde : la consommation responsable n’est plus perçue seulement comme un choix ponctuel ou moral, mais comme un véritable mode de vie, centré sur la sobriété, la réduction des déchets et l’optimisation des ressources.
Cette évolution se traduit par des attentes plus concrètes : ils recherchent des produits durables, réparables, fabriqués à partir de matériaux écologiques ou recyclés, avec des processus transparents. Et ils veulent comprendre — pas seulement croire — que ces produits ont un impact moindre.
En somme, ce que les consommateurs valorisent aujourd’hui, c’est à la fois la qualité intrinsèque du produit (sa robustesse, sa réparabilité) et la qualité extrinsèque (comment, où, et par qui il a été fabriqué).
CQDD : Est-ce qu’on sent que les consommateurs veulent de plus en plus connaître ce que les entreprises font de durable pour l’environnement et la société de manière plus large ?
Fabien Durif : Les consommateurs sont non seulement plus nombreux à vouloir connaître les engagements environnementaux et sociaux des entreprises, mais ils sont aussi plus exigeants en matière de preuves concrètes. Ce qu’on observe avec les données du Baromètre 2025, c’est une montée continue du besoin d’information crédible : sur l’origine des produits/l’identification du lieu de fabrication/l’origine géographique de l’entreprise (achat local), les conditions de fabrication, l’impact carbone, ou encore les certifications utilisées.
En fait, on peut parler d’une transformation des attentes : il ne s’agit plus seulement de vouloir acheter responsable, mais de vouloir comprendre pourquoi un produit ou une entreprise peut être considéré comme responsable. Les consommateurs ne prennent plus les affirmations au pied de la lettre, ils veulent des faits.
On note une tendance à la méfiance : lorsqu’une entreprise n’est pas transparente ou utilise un vocabulaire flou, cela nuit à sa crédibilité. C’est pourquoi l’information, la traçabilité et la communication authentique deviennent des leviers essentiels.
CQDD : Croyez-vous que les fabricants et les commerçants suivent l’évolution des exigences des consommateurs en matière d’écoresponsabilité ?
Fabien Durif : Il y a un écart entre les attentes des consommateurs et la vitesse d’adaptation des fabricants et des commerçants. Les résultats du Baromètre 2025 montrent que les citoyens sont de plus en plus nombreux à adopter des comportements responsables et à exiger plus de transparence, de traçabilité et d’engagement de la part des entreprises. Or, plusieurs consommateurs perçoivent encore un retard du marché.
Cela dit, on observe des signaux encourageants : certains commerçants locaux, petites marques et entreprises plus agiles répondent bien à ces nouvelles attentes. Ils innovent sur des critères d’approvisionnement, de réduction des emballages ou encore d’économie circulaire. Mais pour les grandes chaînes et les fabricants d’envergure, la transition est souvent plus lente et plus timide, en partie en raison de la complexité des chaînes d’approvisionnement.
On constate aussi une montée du scepticisme des consommateurs, notamment face au greenwashing. Ce scepticisme est d’autant plus marqué que l’information sur les pratiques réelles des entreprises reste fragmentée ou floue. Pour combler ce fossé, il faut que les commerçants et fabricants démontrent concrètement leurs engagements — avec des preuves, des certifications crédibles et une démarche cohérente.
Il y a donc une opportunité stratégique majeure pour les entreprises qui souhaitent se différencier en misant sur une écoresponsabilité authentique et démontrée, tout en restant « accessible » en termes de prix.
En conclusion, on peut affirmer que l’adoption de pratiques d’affaires écoresponsables de la part des commerçants et des fabricants est plus que jamais une façon de se distinguer, de conquérir de nouveaux clients même de nouveaux marchés. Mieux encore, les entreprises doivent faire savoir ce qu’elles font de durable et surtout en faire la preuve. Voilà ! Le défi est lancé.
Pour consulter la 15e édition du Baromètre de la consommation responsable : https://ocresponsable.com/barometre-2023-2/.
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Par Errol Duchaine, conseiller en communication au CQDD
Photo : Fabien Durif, directeur de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR), auteur de l’étude et professeur titulaire au département de marketing de l’UQAM