L’efficacité énergétique des bâtiments est aujourd’hui un enjeu majeur à l’échelle internationale. De nombreuses juridictions réglementent sur les façons de construire, sur les matériaux utilisés, sur les équipements de chauffage, de ventilation, et plus encore, pour que ce secteur d’activité contribue comme les autres à réduire les émissions de GES. On a compris que l’efficacité énergétique joue un rôle crucial dans la décarbonation à l’échelle internationale.
Le Canada n’est pas étranger à cette mouvance. Au cours des deux dernières années, plusieurs mesures ont été mises en place, tant à Québec qu’à Ottawa, pour obliger le secteur de la construction à améliorer leur performance à ce chapitre. Les deux réglementations récentes les plus importantes sont le Code national de l’énergie pour les bâtiments (CNÉB) qui a établi des normes strictes pour les nouvelles constructions et, au Québec, la loi 41 adoptée en mars 2024. Cette loi intitulée Loi sur la performance environnementale des bâtiments concerne tout autant les bâtiments existants que les neufs. Il faut savoir que le bâtiment est le troisième secteur en importance pour l’émission de GES au Québec. Ensemble, le résidentiel, le commercial et l’institutionnel totalisent 10 % des émissions québécoises. De plus, lorsqu’on ajoute les GES des industries pour la fabrication des matériaux, les GES peuvent atteindre 35 à 40 %. À l’évidence, il y a ici tout un potentiel d’amélioration.

Ces changements ont été plutôt bien accueillis chez les premiers concernés, comme nous l’explique Alexandre Bouchard, ingénieur en mécanique du bâtiment, associé et directeur du bureau de Saguenay chez Martin Roy et Associés :
« On en a tellement discuté dans les médias que maintenant le message est passé. Il n’y a pas un seul projet pour lequel nos clients ne s’interrogent pas sur cette question de l’efficacité énergétique. Ce n’est même plus un enjeu, c’est une obligation et les gens sont prêts à s’y conformer. »
Quelles sont les nouvelles règles ?
Dans le détail, de quoi parle-t-on exactement ? Dans ces nouvelles réglementations, il est question de normes minimales à atteindre, de seuils, d’inspection des bâtiments pour s’assurer qu’ils répondent à ce nouveau cadre et même, dans un avenir proche, d’une déclaration obligatoire de la consommation d’énergie des bâtiments, dans l’institutionnel et le commercial. Pour l’instant, il manque quelques précisions du côté de Québec, mais les intentions sont claires : on veut que les bâtiments consomment moins d’énergie, qu’ils contribuent à la transition vers une économie plus verte, et qu’ils soient plus résilients aux changements climatiques.
Sur le terrain, comment y arrive-t-on ?
« C’est un peu comme la pyramide de Maslow (NDLR : la hiérarchie des besoins), nous explique Alexandre Bouchard. Pour nous, la première étape c’est tout ce qui est passif, c’est-à-dire la fenestration, l’isolation et l’orientation du bâtiment pour laisser pénétrer le soleil et en profiter pendant l’hiver. Et au contraire, l’été, il s’agit d’avoir ce qu’il faut pour ne pas le laisser pénétrer. Dès le début d’un projet on travaille le passif au maximum. »
Les nouvelles normes en place précisent exactement les rendements minimaux à respecter pour tout ce qui entre dans la construction d’un bâtiment. Entendez par là, la valeur R pour l’efficacité d’une fenêtre et les normes similaires pour les produits isolants et autres matériaux.
Le même travail sera fait pour les systèmes actifs : la ventilation, le chauffage et la climatisation.
« Ce que l’on cherche, nous dit Alexandre Bouchard, ce sont des technologies les plus simples possible. Faciles à entretenir, mais aussi à réparer parce qu’on les veut durables et surtout performants. »
Ne cherchez pas la recette miracle
On serait tous tentés de chercher la parfaite liste de choses et des produits à acheter que l’on pourrait appliquer partout.
« Ça n’existe pas, nous dit d’emblée Alexandre Bouchard. Beaucoup de gens me demandent, par exemple : est-ce que la géothermie c’est rentable ? La vraie réponse, c’est je le sais pas ! Chaque projet est différent et chaque contexte est différent. Le sol sous le bâtiment n’est pas le même d’un emplacement à un autre. L’orientation du bâtiment, l’usage qu’on en fera, ça aussi ça diffère. À quelles heures du jour est-ce qu’il sera le plus utilisé. Y’a jamais de réponses toutes faites. »
Il poursuit avec un exemple éloquent :
« J’ai fait le projet de la SÉPAQ au Mont-Tremblant. Le bâtiment d’accueil. Il était devant un lac. On a décidé de faire de l’hydrothermie. On a mis des plaques dans le lac pour dégager notre chaleur, puis utiliser l’énergie présente dans le lac pour chauffer et climatiser le bâtiment. Mais ça, je peux pas faire ça partout. Alors, moi c’est ce que j’adore, c’est de chercher, c’est comme une petite enquête. »
La leçon est simple : travailler avec le milieu, le milieu naturel.
Au passage, Alexandre Bouchard mentionne que le Québec accusait un certain retard en matière de réglementation en efficacité énergétique du bâtiment, mais du même souffle, il précise que certains organismes gouvernementaux ont leur propre guide et leurs propres exigences en efficacité énergétique. Souvent ces exigences sont plus élevées que ce qui est édicté par Québec ou Ottawa.
« Donc, précise-t-il, ce n’est pas parce que les lois stipulent quelque chose qu’on ne peut pas faire mieux. Par exemple, la Société québécoise des infrastructures a son plan de développement durable dans lequel on parle d’efficacité énergétique. Ils ont des guides de conception pour les hôpitaux, les palais de justice et d’autres édifices publics dans lequel ils donnent eux-mêmes leurs propres exigences souvent plus élevées. »
Simuler, calculer, choisir
Dans cette recherche pour améliorer l’efficacité énergétique d’un bâtiment, les ingénieurs comme Alexandre Bouchard disposent aujourd’hui d’outils de calcul des plus sophistiqués, tels que des logiciels de simulation énergétique permettant de mesurer la quantité d’énergie consommée et la quantité de GES émise par un bâtiment selon le type d’énergie utilisé, le gaz naturel ou l’hydroélectricité. À partir d’un certain seuil, on peut décider de ne pas surisoler, puisque dans le contexte québécois on profite d’électricité plutôt verte. C’est aussi ce que nous apprennent ces nouveaux et savants calculs. Cet exemple démontre que le milieu de la construction est de plus en plus équipé pour prendre des décisions éclairées pour atteindre ces objectifs d’efficacité énergétique.
Par ailleurs, si le Québec accuse un certain retard, c’est en quelque sorte parce qu’ici la disponibilité en hydroélectricité réduit de beaucoup nos émissions de GES, comparativement à d’autres contrées, et qui plus est de l’électricité peu chère. Il est donc souvent difficile de convaincre une entreprise d’investir en efficacité. Québec en est conscient et offre plusieurs programmes de subventions pour soutenir les investissements dans la recherche d’efficacité énergétique et ainsi rendre plus intéressant le retour sur investissement.
Leed Fellow : une reconnaissance rare
Alexandre Bouchard vaut la peine qu’on s’attarde à son parcours. Il est ingénieur mécanique oui, mais il est aussi LEED Fellow. Il s’agit du titre le plus élevé que peut obtenir un professionnel certifié LEED (Leadership in Energy and Environmental Design), le système nord-américain de standardisation de bâtiments à haute qualité environnementale. C’est un titre qui représente une reconnaissance d’excellence, d’expertise et d’engagement dans la promotion de la construction durable. Il n’y a que 12 personnes par année dans le monde qui ont droit à ce titre. Alexandre Bouchard est le 6e professionnel au Québec à qui on l’a attribué en 20 ans. Bravo !
Avec une telle feuille de route, il n’est donc pas surprenant de voir que ses préoccupations vont bien au-delà de la seule mécanique du bâtiment et à son efficacité.
« Un bâtiment, ce n’est pas une boîte carrée dans lequel les gens vont s’abriter de la pluie et du froid. C’est un milieu de vie, donc la qualité de l’environnement intérieur est aussi très importante. On veut s’assurer que le niveau acoustique des bâtiments, que les bureaux eux-mêmes soient adéquats pour les gens qui vont y vivre. On veut faire des gymnases pour les écoles, là aussi avec un niveau acoustique sain pour pas que l’enseignant en éducation physique, à la fin de 25 ans de carrière, souffre d’acouphène. Il faut s’assurer d’avoir des vues vers l’extérieur pour profiter de l’éclairage naturel. Le côté social est très important dans un bâtiment durable. C’est un milieu de vie et le bâtiment doit avoir un impact positif sur les gens qui y vivent. »
En terminant, nous avons demandé à Alexandre Bouchard quelques conseils pertinents pour entreprendre une démarche en recherche d’efficacité énergétique.
Pour un bâtiment existant :
Engager un spécialiste pour faire un bilan énergétique de votre bâtiment et vous recommander des mesures d’économie d’énergie. Aujourd’hui, avec les programmes de subventions pour ce genre d’étude et d’analyse, il est souvent possible de rentabiliser cet investissement en moins d’un an.
Pour un nouveau bâtiment :
Engager un professionnel spécialisé en efficacité énergétique avant de démarrer votre projet. Faire une revue des subventions disponibles dans le cadre de votre projet. Et s’assurer que votre professionnel utilise la simulation énergétique comme outil afin de faire des comparatifs de système et de possibilité d’économie.
Excellent. Merci prof !
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Par Errol Duchaine, conseiller en communication, CQDD