Un reportage d’Errol Duchaine, conseiller en communication au CQDD
144,90$, voilà ce que ça me coûterait si je voulais compenser les émissions de GES de mon dernier voyage à Paris, pour mon transport en avion aller-retour. C’est ce que l’on appelle la compensation carbone volontaire.
On a bien dit volontaire. D’emblée, une distinction s’impose. Ce type de compensation n’est pas le marché du carbone réglementé qui se décline de plusieurs façons à travers le pays. Au Québec par exemple, les entreprises qui émettent 25 000 tonnes métriques de CO2 par année ou plus sont obligées de compenser leurs émissions et sont soumises aux règles de ce marché du carbone.
Comment ça marche?
Revenons à ce qui nous intéresse, la compensation carbone volontaire. Tel que nous l’explique très simplement Patrick Faubert, directeur par intérim de la Chaire en écoconseil et de Carbone boréal à l’UQAC :
« c’est quelqu’un qui va payer un tiers pour capter du CO2 dans l’atmosphère ou éliminer des sources d’émissions de GES pour réduire son propre bilan d’émissions. »
Si je poursuis avec mon exemple de 144,90$ mentionné ci-haut, établi en consultant un organisme de compensation qui, avec son outil informatique, m’apprend que j’ai parcouru plus de 11 000 kilomètres pour ce déplacement, que j’ai émis 3,45 tonnes de GES et qu’il faudra 25 arbres pour compenser mes émissions. Résultat, je dois débourser 144,90$ à cet organisme qui a un projet actif de boisement de la forêt boréale et qui va effectuer ce travail à ma place.
Tout semble simple, mais ce qui l’est moins, c’est que ce marché de la compensation volontaire n’est d’aucune façon réglementé. Les promoteurs n’ont aucune législation à respecter qui serait émise par Québec ou Ottawa. C’est un véritable marché libre avec ses qualités et ses dérives.
Pour rappel, soulignons que le concept lui-même d’achat de crédits de carbone et de la compensation au sens général du terme a été créé en 1997, lors du protocole de Kyoto. Il faudra attendre une dizaine d’années, et davantage dans bien des pays, pour que cette idée de la compensation et sa déclinaison en action volontaire se déploient à travers le monde.
Abondants, diversifiés : de quoi s’y perdre
Aujourd’hui, ici comme ailleurs, les promoteurs eux-mêmes et les projets proposés sont très abondants et diversifiés. Pour les promoteurs on parle d’universités, d’OBNL impliqués dans la lutte à la crise climatique et même d’entreprises privées. Pour ce qui est des projets, à titre d’exemple, mentionnons que ça va de la plantation d’arbres jusqu’à la l’éducation sur les questions climatiques auprès d’écoliers, en passant par la recherche en technologies propres ou par la récupération et la destruction du méthane.
Alors, comment s’y retrouver en absence de contrôle réglementaire? On retrouve sur internet plusieurs propositions pour évaluer la qualité et la fiabilité des projets proposés par tous ces organismes.
Voici les 4 critères essentiels et souvent mentionnés qui peuvent vous guider tout autant dans le choix d’un promoteur que dans celui d’un projet :
- Réel : est-ce que le promoteur peut vous démontrer que les gains promis sont et seront réalisés, et le tout suivant un cadre normalisé?
- Additionnel : peut-on vous assurer que les émissions de GES absorbées ou réduites grâce à un projet donné n’auraient pas eu lieu sans ce projet?
- Quantifiable : le promoteur peut-il vous garantir qu’il suit, mesure et calcule tous les résultats du travail auquel il s’est engagé pour la réduction de GES et vous en fera part?
- Vérifiable : est-ce que tous les résultats du projet seront vérifiés par un tiers indépendant?
Nous avons retenu ici ces quatre critères, mais il y en a bien d’autres, tels que la permanence pour une durée d’au moins un siècle des bénéfices du projet, l’unicité de votre contribution pour éviter que deux personnes contribuent à la même portion du projet, etc.
Les certifications
Cela dit, même en l’absence de réglementation, il y a une autre façon pour le compensateur (celui qui paie pour la compensation) d’évaluer la fiabilité et la rigueur du travail du promoteur. J’ai nommé les certifications! Plusieurs organismes et promoteurs, soucieux de fournir certaines garanties à leurs contributeurs, vont afficher clairement que leurs programmes répondent à certaines normes de certifications. Les plus répandues étant celles de l’Association canadienne de normalisation (CSA) et la norme ISO 14064-2 qui concerne spécifiquement « les projets de diminution ou suppression des GES ».
Plusieurs promoteurs se tournent également vers des organisations internationales d’accréditation et de certification. En conformité avec leurs exigences et leurs cahiers des charges, ils vont accorder leur label quand ils reconnaissent les impacts positifs des projets analysés en matière de développement durable (DD). Les qualités les plus souvent mentionnées quant à leurs exigences : projets fiables, sûrs, éthiques et durables. L’une des plus reconnues mondialement est la norme Gold Standard. Mais afficher qu’on a une certification ne suffit pas, comme nous l’explique Patrick Faubert de l’UQAC :
« c’est bien beau d’écrire qu’on a telle ou telle certification, mais il faut aussi le démontrer. Nous pour le démontrer, on a carrément nos documents de projets sur notre site web… on a aussi tous nos documents de vérification. »
Ces documents, qui sont exigés par tout organisme de contrôle et de certification, devraient être disponibles pour le public et a fortiori pour les compensateurs.
Des dérives
Mais parfois même les plus réputées des certifications ne sont pas sans taches. En août 2023, une enquête menée par des chercheurs des universités d’Amsterdam (Pays-Bas) et de Cambridge (Royaume-Uni), publiée dans la revue Science démontre le manque de rigueur scientifique quant aux méthodes utilisées par VCS (Verified Carbon Standard). Pourtant cette certification est une des plus répandue et réputée dans le monde de la compensation volontaire.
Est-ce à dire que rien n’est fiable? N’allons pas jusque-là. Des projets qui donnent des résultats concrets, ça existe. Des chercheurs fiables, des promoteurs bien intentionnés, ça aussi, ça existe. Mais tout indique qu’il ne suffit pas de lire les prétentions des organismes de compensations de carbone volontaire et de conclure son achat en ligne sans autre vérification. Très souvent, un réel contact s’impose.
Rappelez-vous ce que vous voulez savoir : est-ce que j’ai des garanties de résultats, est-ce que c’est vérifié et vérifiable, est-ce qu’un tiers vous évalue, etc. Cela dit, si après coup vous êtes insatisfait de votre achat, parce qu’il s’agit bien d’un achat de service, vous avez des recours auprès de l’Office de la protection du consommateur du Québec (OPC) comme nous l’explique Charles Tanguay, Responsable des partenariats stratégiques et des relations avec les médias à l’OPC :
« la Loi sur la protection du consommateur contient des interdictions de portée générale qui pourraient être utilisées à l’encontre d’entreprises qui font de l’écoblanchiment, c’est-à-dire qui trompent les consommateurs au sujet des qualités écologiques ou environnementales de leurs produits ou de leur service… Donc oui, les consommateurs qui estiment avoir été trompés peuvent se tourner vers l’Office. »
Vers une réglementation?
Finalement, est-ce qu’un cadre réglementaire ne devient pas nécessaire? La question a été posée à plusieurs acteurs du monde de la compensation. L’un d’eux est François Lafortune, chargé de cours du Centre universitaire de formation en environnement et développement durable (CUFE) à l’Université de Sherbrooke. La réponse de François Lafortune se rapproche de celles de plusieurs personnes qui ont répondu à nos questions pour cet article :
« Ces marchés pourraient réellement bénéficier de meilleures réglementations ou d’encadrement pour imposer des standards minimums de qualité ou pour limiter, par exemple, l’utilisation de la compensation aux émissions résiduelles difficiles à éliminer. Cela permettrait d’améliorer la qualité des crédits, de renforcer la confiance des acheteurs et de minimiser les risques d’écoblanchiment. De façon générale, tous les secteurs reliés à l’évaluation de l’empreinte carbone (ex. les bilans carbones, les plans de réduction d’émission) auraient avantage à être mieux encadrés. »
Soulignons que l’Université de Sherbrooke a son propre programme de compensation carbone volontaire, tout comme l’UQAC. Sherbrooke est associée à Ecotierra, un organisme qui intervient en milieu agricole et forestier.
À l’OPC aussi on voit des lumières rouges s’allumer dans ce marché. Charles Tanguay nous dit à ce sujet que :
« L’Office a récemment été sensibilisé par des chercheurs qui se sont penchés sur la question de l’écoblanchiment et nous avons pu prendre connaissance d’un rapport étoffé sur le sujet … L’Office sera attentif à cette question qui devient de plus en plus un sujet de préoccupation pour les consommateurs. »
Mais une dernière question se pose : est-ce que ce concept de compensation carbone volontaire ne sert qu’à se donner bonne conscience ou encore à faire de l’écoblanchiment? C’est ce que pense des acteurs du monde de la lutte à la crise climatique et pas des moindres. En 2022, la très réputée Fondation David Suzuki a retiré son appui à tout programme de compensation de carbone croyant que ça ne sert qu’à permettre de continuer de polluer contre quelques dollars. La réponse de Patrick Faubert de l’UQAC :
« Dans l’ordre des choses, ce que l’on doit faire dans une gestion des GES, c’est d’abord un inventaire pour se mesurer, identifier les points chauds, mettre de l’avant des mesures de réduction et compenser pour ce qui est incompressible. »
Patrick Faubert croit que pour l’heure on ne peut se satisfaire de la réduction à la source puisqu’il nous est impossible de changer drastiquement toutes nos pratiques et de pallier les impacts négatifs de tout ce qui est incompressible.
En conclusion, ce que l’on doit retenir des propositions des acteurs sérieux et éclairants sur cette question de la compensation volontaire, et cela tout autant comme chef d’entreprise que comme citoyen, ce sont trois actions toutes simples : évaluer ce qu’on fait, réduire tout ce qu’on peut et compenser pour le reste. Quand vient le temps de compenser, vous aurez tous compris que la prudence s’impose. Vaut mieux s’associer à un organisme reconnu et crédible. La réputation de ceux avec lesquels un entrepreneur s’associe dans ses actions en écoresponsabilité rejaillit inévitablement sur sa propre entreprise.
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Source : Environnement et Changement climatique Canada (Les projets de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre)